Une sorcière pas comme les autres.
I La poupée.
Mon histoire commence un jour d’été, où je partais en
vacances chez ma grand-mère. Alors que je m’installais dans une des chambres de
la maison, je vis, installée sur une petite table, une sorcière. Je vous
rassure, elle n’était qu’une poupée. Je la regardai longuement. Bien qu’elle
fût très laide, comme une sorcière me direz-vous, je la trouvais fascinante.
Le lendemain soir, quand je rentrai de la plage, ma
grand-mère me dit :
« Monte dans la chambre, j’y ai déposé quelque chose
pour toi avant ton arrivée, mais j’avais complètement oublié de te le
dire ! »
J’étais toute contente de recevoir un cadeau de ma
grand-mère. Je montai vite dans la chambre, et je cherchai du regard, parmi
tous les objets qui décoraient la pièce, ce que pouvait bien être mon cadeau.
Comme j’étais trop longue à le trouver, ma grand-mère me donna un indice :
« C’est sur ta droite, sur une table ! »
Toute excitée d’avoir enfin trouvé mon cadeau, je
criai :
« C’est la sorcière ?!!! »
« Oui, c’est elle ! » me répondit ma
grand-mère en riant.
« Elle est trop belle ! Je crois déjà savoir où je
vais la mettre ! » Lui dis-je.
Le dernier jour des vacances arriva. Je devais refaire mes
valises pour m’en retourner chez moi. Quelle corvée ! Il faut avouer qu’il
est beaucoup moins drôle de ranger ses habits dans la valise, en sachant que ce
sera certainement la dernière fois que nous mettrons maillots de bains et
tee-shirts, car l’automne arrive à grand pas.
Mais ce jour-là, je pris soin de bien ranger ma poupée
sorcière, pour que son grand nez ne se casse pas pendant le voyage. Je
l’enveloppai alors de papier à bulles et la mis délicatement dans un de mes sacs, bien emmitouflée dans mes
vêtements.
Le lendemain, lorsque j’arrivai chez moi, la première chose
que je fis fut de sortir la poupée sorcière de mon sac, de la libérer de tout
ce papier, et enfin… de la poser sur la table de ma salle à manger.
A ce moment-là, j’eus comme l’impression qu’elle me souriait
et me remerciait. Son regard était devenu plus doux, et ses grands yeux bleus
se mirent à briller.
Je me dis alors que c’était certainement la fatigue du
voyage qui me jouait des tours.
Je continuai donc à ranger et à trier toutes mes affaires en
ne prêtant plus attention à la sorcière.
II La vérité sort
toujours de la bouche des sorcières.
Un soir d’octobre, alors que je rentrais chez moi, tout en
cherchant mes clefs au fond de mon sac, j’entendis du bruit près de la porte.
Au moment où je mettais la clef dans la serrure, la porte
s’ouvrit toute seule. Je me mis à tressaillir. Vous pensez bien… je me
demandais ce qu’il se passait dans ma demeure. Il faisait très sombre, car la
nuit était déjà tombée.
Quand tout à coup, la porte s’ouvrit en grand et la lumière
s’alluma. Et là… devant moi, une vieille femme aux cheveux gris, les yeux très
bleus et vêtue d’une vieille robe grise, me dit d’une voix aigue :
« Eh bien mon enfant… tu n’oses plus entrer chez
toi ? »
J’eus tellement peur que j’en fis un bond en arrière. Je
tombai des marches du devant de chez moi, et me retrouvai les fesses sur le
trottoir.
La vieille femme se mit à rire, puis sortis de la maison et
vint m’aider à me relever, en me disant :
« N’aie crainte de moi jeune amie. Je t’ai bien
observée et… »
Mais je ne lui laissai pas le temps de finir sa phrase, et
d’un air étonné, je lui dis :
« Vous vivez avec moi ? Vous m’avez bien
observé ? Mais de quoi parlez-vous ? Je ne vous connais même
pas !! »
C’est à ma dernière phrase, regardant tout autour de moi que
je compris…
« Oui », me dit-elle. « Tu as deviné. Je suis
la sorcière. D’habitude posée sur la table de ta salle à manger ! »
Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que ma poupée
sorcière était en fait une véritable sorcière !
Je m’assis sur le canapé, car bien que curieuse de connaître
toute son histoire, je fus tout de même sous le choc.
« Je sais que tu te poses des tas de questions à mon
sujet. », me dit-elle gentiment. « Mais n’oublie pas que nous avons
toute la soirée devant nous ! Prenons notre temps, installons-nous
confortablement. »
Puis elle reprit : « Ce soir, c’est moi qui
prépare le dîner ! »
Là, je dois avouer que mon cœur fit un tour sur
lui-même : un haut-le-cœur me traversa l’estomac, tandis que je
m’imaginais manger des ailes de chauve-souris à la sauce de bave de crapaud.
Mais la vieille femme me sourit et dit sur un ton doucereux :
« Ne t’inquiète donc pas comme ça, ma jolie ! Je
n’ai pas l’intention de te faire avaler n’importe quoi ! Aujourd’hui,
c’est jour de fête ! Et j’ai prévu une bonne fondue au
chocolat ! »
A cet instant, un appareil à fondue avec du chocolat noir
fondu et chaud apparut, ainsi qu’une incroyable quantité de viennoiseries et de
fruits. Une envie gourmande me prit, et je mangeai avec plaisir ces
confiseries, pendant que la sorcière me racontait sa mésaventure.
« Il y a plus de 500 ans, alors que le monde croyait
encore en la féerie et en la magie, j’étais une vieille femme vivant à la
campagne seule, dans une vieille maison qui devenait insalubre, et comme mes
bras et mes jambes, et tout le reste de mon corps avaient bien du mal à
s’articuler comme bon me le semblait, je commençais à mourir de faim.
« Je cessai alors de manger, car même si j’avais bien
du mal à m’imaginer cette malheureuse
situation, je savais que l’histoire de ma sorcière était vraie. »
Elle s’interrompit un cours instant, comme pour reprendre
son souffle et ses esprits.
« Il n’était pas aisé, à cette époque, qu’une vieille
femme comme moi puisse manger tous les jours à sa faim. Et les gens, qui
habitaient la plus proche maison de la mienne, s’acharnaient à la tâche pour
pouvoir nourrir leurs six enfants. Je ne me sentais pas le courage de leur
demander de l’aide, et me disais qu’il valait bien mieux qu’une femme de mon
âge rejoigne les Cieux avant de pauvres petits êtres. »
Elle s’arrêta, me regarda. Et dans un sourire semi triste,
me dit :
« Sans le savoir, par mes prières, et par mes rêves,
j’avais appelé le Grand Magicien du Monde Magique et féerique. »
J’étais ébahie par ce que je venais d’entendre. Les
magiciens et autres fées existaient réellement !
J’avais terminé ce formidable petit festin depuis quelques
minutes. Alors, n’ayant plus la bouche pleine de sucreries, j’en profitai pour
poser une question.
« Comment ce grand magicien vous est-il apparu ?
Vous a-t-il effrayée ? Est-il gentil ? »
J’aurais pu continuer encore longtemps comme ça. Car ma
curiosité s’éveillait de plus en plus, et je voulais, maintenant, tout savoir.
La sorcière se mit à rire, et me répondit aussitôt :
« C’était le soir d’un dimanche d’octobre. L’hiver
arrivait à grands pas, le vent était glacial. Les astres du ciel, dégagés de
tous nuages, annonçaient une belle journée ensoleillée. Mais tout à coup, j’eus
l’impression que le ciel sombre et étoilé, s’arrondissait, s’abaissait vers la
Terre. Il me semblait que mon cœur voguait de nausées ; Ma tête tourna, un
vertige m’emportait… quand… une main douce et forte me retint le dos. »
Je regardai ma sorcière d’un air attristé, tandis
qu’elle-même regardait le plafond de ma maison comme si le film de sa vie s’y
jouait.
« Pour toi, vielle femme qui m’a appelé dans tes
prières et dans tes rêves, je suis descendu sur la terre des mortels pour
exaucer tes souhaits. » récita ma sorcière, imitant une grosse voix, pour
me faire comprendre qu’un homme était apparu devant elle.
L’étonnement et la stupeur devaient se lire sur mon visage,
car la sorcière s’interrompit pour me demander :
« Ne me dis pas que le simple fait de te raconter cette
histoire, t’effraies ?! »
« Ah non, non ! Pas du tout ! »,
lui répondis-je de suite.
« Je vis tellement votre situation en vous écoutant la
raconter, que je me suis mise à votre place, et je m’imaginais ce mystérieux
personnage. »
« Ah ! » me fit-elle dans un soupir… «
Ce n’est rien de le dire ! Et pourtant… bien qu’à première vue, mon âme
s’effraie, mon cœur fini par tomber en amour pour lui… »
Je ne pus, à cette dernière phrase, laisser apparaître sur
mon visage un large sourire jusqu’aux oreilles.
Ma sorcière me regarda avec un petit sourire coquin au coin
des lèvres en me disant :
« La magie peut faire apparaître de magnifiques
sentiments, même à une très vieille femme ! » Et sur cette jolie
phrase, nous partîmes à rire toutes les deux.
Continuant notre conversation, elle me décrit ce fabuleux
magicien.
« Il était habillé de cette robe noire de nuit, décorée
d’étoiles dorées. Ses yeux et ses cheveux étaient couleur de nuit, et sa peau
scintillait de poudre argentée et dorée, qui lui donnait un air impérial. Son
regard était doux et attentionné, comme une maman observant son nouveau-né au-dessus
du berceau. »
Alors que j’observais la sorcière me conter son aventure, je
remarquai ses yeux briller. Non, à dire vrai, ils ne brillaient pas, ils
pétillaient de joie. Tandis qu’elle continuait :
« Ce mystérieux homme me souriait. Ce sourire qui te dit :
ne t’inquiète plus de rien, je suis là pour t’aider. C’est à ce moment-là qu’il
m’expliqua sa venue chez moi. »
« Et que vous a-t-il dit ? » lui demandai-je.
« Voici sa réponse : Vieille femme, je suis venue
chez toi ce soir parce que ton amour pour autrui et ta générosité de l’âme ont
eu raison de toi. A partir de cette nuit, pour le monde des mortels tu ne seras
plus, mais pour mon monde, le Monde Féerique, tu seras sorcière de Bonté et
d’Espoir. »
Je compris alors que pour connaître le bonheur éternel, il
lui fallait tout d’abord connaître le dernier malheur sur Terre.
Elle reprit dans un long sourire :
« Mon cœur se fit alors léger. Plus de peur ni
d’angoisse ne traversaient mes entrailles, uniquement de la joie et de l’amour.
Alors le magicien m’expliqua que sorcière j’étais, mais poupée je deviendrais
dès les premières lueurs du jour. Quand la première personne me trouverait et
me regarderait précieusement chez elle en vue de tous, alors mon travail
commencerait. »
Là, je dois avouer que je ne comprenais pas bien où ma
sorcière voulait en venir. C’est vrai… une vieille femme transformée en
sorcière, une sorcière transformée en poupée et la poupée qui doit
travailler... Cette histoire commençait à me sembler compliquée. Alors j’osai
interrompre la sorcière pour la questionner :
« Comment une poupée peut-elle travailler ? Une
poupée est utilisée pour jouer avec les petites filles ou à décorer une pièce,
mais non pour travailler ! »
Ma question ainsi que mon raisonnement n’avaient certes pas
dû faire beaucoup plaisir à ma sorcière, car son sourire s’effaça de ses
lèvres, et les traits de son visage devinrent
sérieux. Cela devenait même inquiétant, je la préférais souriante.
« Je ne voulais pas vous offenser, madame la sorcière,
je… » Mais elle ne me laissa pas continuer la fin de ma phrase.
« Erine, je m’appelle Erine ! », me dit-elle.
« D’accord, Erine… » Repris-je de suite pour ne
pas la vexer encore plus. « Je voulais simplement savoir comment on
pouvait employer une poupée au travail. »
« J’avoue qu’il est difficile, pour un mortel, de
comprendre qu’une sorcière transformée en poupée travaille en exauçant les
vœux. »
III Mon vœu.
Il se faisait très tard. L’heure était déjà bien avancée
dans la nuit. Et la dernière phrase que venait de prononcer Erine, m’avait
quelque peu abasourdie, et à cet instant même, je me demandai si je ne venais
pas de rêver toute cette histoire.
Eh bien non ! J’avais beau fermer et ouvrir mes yeux,
me les frotter, au cas où la sorcière disparaîtrait de ma vue. Mais non… rien
n’y faisait. Elle était toujours bien présente devant moi.
Il me fallait réfléchir seule dans mon coin. Eh bien
quoi ! Cela ne vous ferait-il pas un choc si vous appreniez par une poupée
sorcière qu’elle est venue chez vous pour exaucer certains de vos vœux ?
J’avais besoin d’une bonne nuit de sommeil pour remettre mes
idées en place. Mais avant de me retirer dans ma chambre, je m’excusai auprès
d’Erine de sentir la fatigue, et je lui proposai de lui confectionner un bon
lit douillet, mais elle refusa.
Avant que je ne monte dans ma chambre, elle me dit :
« Et surtout, n’oublie pas. Demain, tu devras me donner
un vœu que j’exaucerai pour toi. La nuit porte conseil. Bonne nuit. »
« Je vais y réfléchir, promis. Bonne nuit Erine. »
Et je montai me coucher.
Le lendemain matin, alors que je descendais dans la cuisine
prendre le petit déjeuner, la voix d’Erine la sorcière se fit entendre pour me
souhaiter une bonne journée.
La première question de la matinée fut :
« As-tu fait de beaux rêves cette nuit ? »
« Oui », lui répondis-je en riant. « J’ai rêvé qu’une sorcière
venait chez moi pour exaucer mon plus grand souhait ! »
La sorcière se mit à rire joyeusement, et me demanda
gentiment :
« Et qu’as-tu répondu à cette sorcière, si ce n’est pas
trop indiscret ? »
Alors dans un sourire un peu gêné, je donnai à Erine mon vœu
le plus cher :
« Depuis toute petite, je ne rêve que d’une
chose : posséder le don de l’écriture. Savoir écrire des histoires et
autres comptines, pour faire aimer lire les enfants autant que j’ai toujours
aimé lire. Pour que l’espoir continue de vivre dans ces petits cœurs, que la
féerie de la littérature puisse les faire voyager dans des mondes imaginaires
et mystérieux. Que les enfants du monde entier apprennent que les rêveries nourrissent les espoirs d’une vie meilleure à venir, et
que sans elles, on ne peut bien vivre ! »
Aucun son ne sortit de la bouche de la sorcière. Son regard
bleu me fixait, sans geste, sans expression. Je m’inquiétais, je m’interrogeais
sur mon souhait. Peut-être n’était-il pas réalisable ?
Au bout de quelques secondes, un joli sourire se redessina
sur le joyeux visage d’Erine. Elle prit mes mains dans les siennes, sans dire
mot, caressa les paumes de mes mains avec ses doigts, puis ferma les yeux. Sur
un ton doux et presque silencieux, j’entendis :
« Plus aucun matin ne s’appellera chagrin. A toi le don
d’écrire, pour que tous les jours des enfants puissent rire. Pour les petits,
tu es joie et bonté, que ton vœu soit exaucé ! »
Erine ouvrit de nouveau les yeux, retira ses mains des
miennes et me dit :
« Maintenant, écris ton jardin secret et ses
merveilles ! »
Ce n'était pas les paroles de la sorcière que j’entendais à
ce moment-ci et qui raisonnaient si bien à mes tympans, car après tout,
n’importe qui aurait pu me réciter ces quelques mots et me faire croire que mon
vœu était exaucé. Non, c’est mon cœur qui s'était mis à palpiter comme jamais
auparavant il ne l’avait fait. C’est mon cerveau qui jaillissait de mille
histoires magiques.
La sorcière Erine me demanda de bien l’écouter pour la
dernière fois, car dès aujourd’hui je devrais suivre ces quelques
recommandations :
« Ma chère enfant, avant que je ne redevienne une
poupée sorcière, tu dois savoir ceci : comme tu as eu la chance de me
posséder pendant ces quelques mois pour que j’exauce ton vœu, il te faudra à
ton tour m’offrir à une personne qui aura besoin de mes services pour que son
esprit reste en fête ! Attention ! Si ce geste n’est pas fait d’ici
un an, le mystérieux magicien viendra te reprendre le don que je t’ai accordé,
et plus jamais de bonheur tu ne connaîtras, car tu seras alors considérée, par
tout le monde de la magie, comme une égoïste obstinée. »
Bien évidemment, je n’avais pas d’autre choix que
d’acquiescer ces dires. Mais je n’eus le temps que de faire un signe
d’approbation de la tête, quand Erine se transforma de nouveau en poupée
sorcière.
IV Une fin
magique.
Je me baissai tout doucement pour ramasser ma poupée qui
était maintenant à mes pieds. Je la regardai tristement. Oui, tristement, car
pendant le cours d’une soirée, cette sorcière qui se prénommait Erine, me fit
voyager dans un monde où la magie et l’amour existent. Dans un monde où,
petite fille, j’aimais me promener sans le dévoiler à quiconque. Et où encore
aujourd’hui, de temps à autre, j’y retourne pour le visiter et y retrouver mes
joies d’enfant.
A toi, qui lis cette histoire, fais passer le message simple
mais si important du rêve. Dis à tous ceux qui t’entourent que la magie est
bien réelle et que les sorcières, les fées et autres lutins, de tous temps ont
existé pour exaucer nos rêves.
Et surtout… si un jour, en cadeau, tu reçois une poupée
sorcière, n’oublie pas de prendre bien soin d’elle. Car, sait-on jamais…
peut-être…un jour, elle ouvrira la porte de ta maison, te contera son histoire
et exaucera ton vœu le plus cher ?!!!